Louis-Antoine-Léon de Saint-Just

(1767 – 1794)

 

C’est à Decize, petite ville située à une trentaine de kilomètres de Nevers, que naît Louis-Antoine-Léon de Saint-Just le 25 août 1767. Issu d’une famille de cultivateurs picards, Louis-Jean, son père, est capitaine de cavalerie et décoré de la croix de Saint-Louis. Marie-Anne Robinot, sa mère, est la fille d’un notaire royal, procureur en la châtellenie.

 

Saint-Just vit à Decize jusqu’en 1776. À cette date, ses parents s’installent avec leurs trois enfants à Blérancourt, gros village de l’Aisne situé près de Chauny, où ils ont acheté la maison de la rue de la Chouette. Le père de Saint-Just meurt en septembre 1777. Louis­-Antoine n’a que dix ans. Sa mère, probablement à l’automne 1779, l’envoie au collège des Oratoriens Saint-Nicolas de Soissons. Il y étudie jusqu’en 1786, retrouvant Blérancourt à l’occasion des vacances.

 

Les années qui suivent sont assez mal connues. En 1786, le jeune Saint­-Just est incarcéré six mois à Paris sur lettre de cachet à la demande de sa mère après s’être enfui du domicile familial avec quelques biens : selon une tradition, cette fuite aurait eu pour cause l’empêchement mis à son mariage avec une jeune fille de son village dont il était de longue date épris. Toutefois, Saint-Just s’est rapidement réconcilié avec sa famille et il paraît avoir travaillé après son incarcération dans l’étude d’un procureur à Soissons, puis s’être inscrit à la faculté de droit de Reims où il aurait obtenu sa licence ès-lois en 1788.

 

Saint-Just se livre parallèlement à des travaux d’écriture. À la veille de la réunion des États Généraux, il publie anonymement Organt, poème satirique de près de huit mille vers foisonnant d’allusions insolentes à la famille royale et à de grands personnages de l’époque. L’ouvrage fait l’objet de perquisitions-saisies chez des libraires parisiens en juin 1789.

 

Mais c’est dans l’Aisne que Saint-Just vit les premières années de la Révolution, jusqu’à son élection à la Convention en septembre 1792. Il déploie dans son pays une intense activité pour propager la flamme révolutionnaire et acquiert de l’influence dans les localités proches de sa commune par son étroit contact avec le peuple.

 

En mai 1790, il est envoyé par son village à l’assemblée chargée de choisir le chef-lieu du département de l’Aisne où son discours en faveur de Soissons est remarqué. Le 14 juillet 1790, il représente le district de Chauny à la Fête de la Fédération à Paris avec le titre de « lieutenant-colonel de la garde nationale » de Blérancourt et « commandant d’honneur de celle du canton ».

 

En août, il adresse une première lettre à Robespierre dans laquelle il lui déclare son admiration pour son action comme député à l’Assemblée constituante.

 

C’est vers cette époque qu’il commence à rédiger son essai politique l’Esprit de la Révolution et de la Constitution de France. Cet ouvrage modéré dans son analyse et ses conclusions paraît en juin 1791.

 

Durant cette même période 1790-1791, Saint-Just défend Blérancourt contre l’ancien seigneur du lieu dans un conflit sur la propriété des biens communaux. Il effectue aussi de nombreuses démarches en tant que défenseur officieux auprès du tribunal de Coucy-le-Château pour le compte de Blérancourtois et d’Axonais, le plus souvent dans le cadre de contentieux portant sur les droits seigneuriaux.

 

En juin 1791, Saint-Just est nommé électeur lors de l’élection au premier degré de l’Assemblée législative qui doit succéder à la Constituante à l’automne. Mais il ne peut être élu car il n’a pas encore l’âge légal de vingt-cinq ans.

 

Suit pour lui une période d’inactivité politique forcée qu’interrompt la prise des Tuileries le 10 août 1792. La chute de la monarchie provoque en effet des élections anticipées pour désigner une nouvelle Assemblée : Saint-Just s’y présente et est élu député de l’Aisne le 5 septembre 1792.

 

Sa première intervention à la Convention nationale a lieu le 13 novembre 1792 et le fait aussitôt connaître de l’Assemblée. Saint-Just y prend la parole lors des débats sur le procès de Louis XVI pour demander qu’il soit jugé en ennemi non seulement pour les crimes qu’il a commis dans ses fonctions mais pour avoir été roi. Mais c’est son discours sur les problèmes de subsistance du 29 novembre 1792 qui, plus encore que celui sur Louis XVI, eut un immense retentissement : tout au long de sa carrière de député, Saint-Just ne cessera de proposer des solutions à la crise économique et monétaire que traverse la France révolutionnaire, comme en témoigne par exemple le brouillon d’un discours non prononcé datant de février 1793 acquis par l’Association pour la sauvegarde de la Maison de Saint-Just actuellement en dépôt aux Archives de l’Aisne.

 

Après la mort du roi, qu’il a votée, Saint-Just se préoccupe dans ses discours de questions militaires et constitutionnelles.

 

Le 28 janvier 1793, il intervient sur la réorganisation du ministère de la guerre. Le 12 février suivant, il soutient l’amalgame, c’est-à-dire la fusion des troupes de ligne et de celles de volontaires, ainsi que la nomination des généraux par la Convention. En mars, Saint-Just effectue sa première mission aux armées. Il est envoyé dans l’Aisne et les Ardennes pour hâter la levée de trois cent mille soldats. De retour à Paris, il dénonce l’approvisionnement insuffisant des armées en armes, munitions et vivres.

 

Le 24 avril 1793, Saint-Just prononce son discours sur la Constitution à donner à la France dans lequel il critique le pouvoir excessif que le projet girondin de constitution accorde à l’exécutif. Il donne ensuite lecture d’un Essai de Constitution très démocratique dans lequel la prééminence appartient au pouvoir législatif.

 

La qualité de son texte et des deux autres interventions qu’il fait sur le même sujet lui vaut d’être adjoint le 30 mai 1793 au Comité de salut public pour rédiger la Déclaration des droits de l’homme et la Constitution. Sa part dans l’élaboration de cette dernière sera déterminante.

 

Le 8 juillet, il présente au nom du Comité de salut public un rapport sur les Conventionnels girondins mis en arrestation après les journées révolutionnaires des 31 mai et 2 juin 1793. Pendant l’été 1793, il s’occupe essentiellement de questions militaires et d’approvisionnement au Comité de salut public.

 

La crise de la Révolution s’est en effet aggravée pendant l’été. Une partie des départements échappe à l’autorité de la Convention et, aux frontières, l’invasion étrangère entame l’intégrité du territoire national. Sous la pression populaire, des mesures rigoureuses sont prises, notamment la loi des suspects. C’est dans ce contexte que, le 10 octobre 1793, Saint­-Just présente au nom du Comité de salut public un rapport sur la nécessité de proclamer le gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix.

 

Le 18 octobre 1793, Saint-Just, accompagné de son collègue Philippe Le Bas, est envoyé en tant que représentant en mission à l’armée du Rhin qui subit une offensive des Autrichiens. À leur arrivée, ils rétablissent la discipline, assurent le ravitaillement et veillent aux conditions matérielles des troupes. Ils prennent aussi des mesures économiques (contributions forcées sur les riches, réquisitions de pièces d’habillement) et politiques (destitution de la majeure partie de la municipalité de Strasbourg). Le 28 décembre 1793, Saint-Just participe à la délivrance de Landau en chargeant à la tête des troupes républicaines.

 

Une nouvelle mission auprès de l’armée du Nord est confiée à Saint-Just et Le Bas début 1794. Durant cette mission, ils examinent l’état des places fortes, des effectifs et du ravitaillement avant la reprise de la campagne et ils prennent de nombreuses mesures pour assurer l’approvisionnement en subsistances et la livraison d’armements.

 

À son retour à Paris, Saint-Just est élu président de le Convention nationale. C’est alors qu’il présente aux députés les célèbres « décrets de ventôse » (rapports des 8 et 13 ventôse an II, correspondant au 26 février et 3 mars 1794) qui prévoient que les biens des contre­-révolutionnaires soient confisqués et distribués aux pauvres.

 

C’est encore Saint-Just qui est chargé de présenter le 13 mars un rapport sur une conjuration ourdie par les pays coalisés qui est dirigé contre le dirigeants hébertistes, et le 31 mars un rapport contre Danton et ses partisans qui les fait également traduire devant le Tribunal révolutionnaire. Ces rapports sont souvent présentés comme une manœuvre des Comités de salut public et de sûreté générale pour se défaire de toute opposition politique. Ils furent en fait motivés par la conviction des membres de ces Comités que les accusés étaient coupables d’entente avec l’ennemi en vue de renverser le gouvernement révolutionnaire et rétablir la monarchie.     

 

Après l’exécution des Hébertistes et des Dantonistes, les Comités ressentent la nécessité de préciser la direction qu’ils entendent donner à la Révolution. Saint-Just prend de nouveau la parole à la Convention nationale le 15 avril 1794 pour présenter un important rapport sur la police générale, la justice, le commerce, la législation et les crimes des factions. Il y fait le portrait du révolutionnaire modèle, rappelle les principes qui doivent guider son action et demande que soient traités avec fermeté les opposants à la Révolution. À la suite de ce rapport est proposé un ensemble de lois qui centralisent l’exercice de la Terreur (tous les prévenus de conspiration seront traduits au Tribunal révolutionnaire de Paris), forcent les fonctionnaires à l’exactitude dans l’exercice de leurs fonctions, excluent les nobles, les étrangers et les généraux en inactivité de Paris, des places fortes et des villes maritimes, et encouragent par des indemnités et des récompenses les activités de production.

 

Le 30 avril 1794, Saint-Just quitte Paris accompagné de Le Bas pour une nouvelle mission. Ils sont chargés d’appliquer la stratégie du Comité de salut public à l’aile droite de l’armée du Nord. Saint-Just conduit brièvement les opérations militaires fin mai.

 

Après un court séjour à Paris, Saint-­Just repart le 10 juin 1794 à l’armée du Nord. Au cours de cette dernière mission il prend une part prépondérante à la direction des opérations qui aboutissent à la victoire décisive de Fleurus le 26 juin 1794. Le soir même de la victoire, il regagne la capitale.

 

C’est dans ce contexte de victoires contre les coalisés que se noue la crise politique qui va conduire au coup d’État de Thermidor. Des dissensions entre les deux principaux Comités, le Comité de salut public et le Comité de sûreté générale, mais aussi entre plusieurs membres du Comité de salut public, avaient éclaté avant la dernière mission de Saint-Just à l’armée du Nord et se sont encore accentuées pendant son absence. Les témoignages postérieurs des anciens membres des Comités sur les causes des ces dissensions sont si contradictoires et volontairement imprécis qu’on peine à en déterminer les mobiles. L’opinion très claire de Saint-Just, telle qu’exprimée dans le discours qu’il avait prévu de lire à la Convention le 9 thermidor, mérite d’autant plus d’être relevée : « Quand je revins pour la dernière fois de l’armée, je ne reconnus pas quelques visages. Les membres du gouvernement [comprendre : du Comité de salut public] étaient épars sur les frontières et, dans les bureaux, les délibérations étaient livrées à deux ou trois hommes ». Pour Saint-Just, ce sont les « deux ou trois hommes » qu’il accuse dans la suite de son discours – Billaud-Varenne, Collot d’Herbois et, semble-t-il, également Carnot – qui sont responsables de la crise gouvernementale en ayant cherché à s’emparer de l’autorité que la Convention avait confiée au Comité.

 

Le 26 juillet 1794 (8 thermidor an II), Robespierre prononce à la Convention nationale un long discours dans lequel il accuse de « conspiration contre la liberté publique » un certain nombre de membres des Comités et de Conventionnels. Il demande leur punition, l’épuration des Comités de salut public et de sûreté générale, et la subordination de ce dernier au Comité de salut public. Le lendemain (27 juillet 1794 – 9 thermidor an II), Saint-Just monte à son tour à la tribune pour présenter un discours nettement plus conciliant : mettant hors de cause les membres du Comité de sûreté générale, il accuse nommément les seuls Collot d’Herbois et Billaud-Varenne. Surtout, il ne demande pas leur mise en accusation mais veut juste qu’ils « se justifient » et que les décisions du Comité de salut public soient de nouveau prises de façon plénière.

 

De son discours, Saint-Just ne peut lire que les premiers paragraphes car Tallien, avec la complicité du bureau de la Convention, l’interrompt. Pendant que les conjurés se déchaînent, Saint-Just demeure debout près de la tribune sans pouvoir reprendre la parole. Robespierre, Saint-­Just, Couthon, Le Bas et Augustin Robespierre, le frère de l’Incorruptible, sont décrétés d’accusation après cinq heures de tumulte et transférés dans des prisons parisiennes.

 

Alertée, la Commune de Paris décide de les délivrer : comme ses quatre collègues, Saint-Just est libéré et amené à l’Hôtel de Ville tandis que la Convention les déclare hors-la-loi, ce qui signifie qu’en cas d’arrestation ils seront guillotinés sans procès. La Convention charge par ailleurs Barras de réunir une force armée qui, dans la nuit du 27 au 28 juillet, se rend maître de l’Hôtel de Ville et arrête Robespierre, Saint-Just et leurs amis. Ils sont exécutés le soir même.

 

Saint-Just a laissé un texte qu’il n’a pas eu le temps de lire à la Convention et qui sera publié par ses proches après sa mort. Il s’agit du Projet d’institutions, ambitieux programme politique qui devait compléter et approfondir les mesures égalitaires prises avec les décrets de ventôse en organisant de nouveaux rapports sociaux destinés à protéger le peuple de l’oppression qu’exercent riches et puissants.

 

Frédéric Crucifix et Anne Quennedey